Au bagne des femmes (Clermont-de-l’Oise)
Fin 1903, dans l’Oise, la maison centrale de Clermont n’existe plus. Le 15 juin, les détenues ont été emmenées en plusieurs convois à la gare de Clermont, enfermées dans des wagons cellulaires et conduites à la centrale de Rennes. Ce transbordement mit fin à près d’un siècle d’enfermement carcéral pour les criminelles condamnées à de longues peines ou à la perpétuité.
« Beau fait aller au chaslel de Clermont », disait-on. Il fut occupé ensuite par le gouverneur du Comté, puis la princesse d’Harcourt fit du donjon sa demeure. Le donjon long de 25 mètres et large de 17 mètres fut vendu à la Révolution. En 1805, il fut transformé en maison de correction puis en 1826 en Maison centrale de détention pour femmes.
On n’y dansa plus, on n’y ripailla plus et surtout on n’y parla plus, le silence absolu étant la règle entre prisonnières.
Au cours du XIXe siècle, ce bagne pour femmes a accueilli ou plutôt enfermé les grandes criminelles passées par les cours d’assises de la région parisienne. Étrangleuses, infanticides, incendiaires, « professionnelles du meurtre, goules immondes », folles, homicides sournoises, illettrées ou éduquées, à l’air doux ou méchant, au corps séduisant ou difforme : un ramassis de femmes dont les crimes abjects faisaient trembler jusque dans les plus modestes logements ; mais aussi reines malsaines des faits divers, quand elles s’appellent Gabrielle Fenayrou (complice de l’assassinat de son amant par son mari en 1882) ou Gabrielle Bompard.
Prenons l’exemple de Gabrielle Bompard : elle est la sombre héroïne d’un horrifique fait divers, surnommé « La malle sanglante » par les journalistes de l’époque. En 1889, à Millery, près de Lyon, un corps décomposé fut découvert dans une malle, celui d’Augustin Gouffé, un huissier de justice. Cette affaire aux multiples rebondissements se terminera en 1890 par la condamnation pour son assassinat d’un couple : Michel Eyraud (qui sera guillotiné en 1891) et sa complice Gabrielle Bompard qui arguera pour sa défense le fait d’avoir été hypnotisée par son amant. Condamnée à 20 ans de travaux forcés, Gabrielle quittera Clermont quelques jours avant sa fermeture.
Qu’avait donc à faire dans ce parterre vénéneux Louise Michel, surnommée « La Vierge rouge ». Cette institutrice, promouvant l’égalité homme femme, militante anarchiste, fut une figure marquante dans l’insurrection de la Commune de Paris. Envoyée en déportation en Nouvelle-Calédonie, sa peine sera commuée mais, fidèle à ses engagements politiques, elle sera à nouveau emprisonnée à Saint-Lazare, puis enfermé en juillet 1883, pour une année, au bagne de Clermont. « La première nuit dans une cellule a quelque chose d’affreux, écrira-t-elle, on se dit c’est ici que je dois vivre tant de mois, tant d’années, séparée du reste des vivants. Et l’on a l’impression d’avoir été enterrée vivante… L’air vous manque… on étouffe… Il semble que les murs se resserrent peu à peu… que le plafond s’abaisse lentement… »
Louise Michel achèvera dans ce donjon glacial l’hiver la rédaction de ses Mémoires avant de regagner la prison Saint-Lazare et d’être graciée en 1886.
Mise à l’écart par ordre présidentiel, elle ne côtoiera pas les autres prisonnières de Clermont. Isolée dans une petite pièce proche de l’infirmerie, un escalier lui « permettra de descendre au jardin quand les détenues n’y étaient pas ». Était-ce une mesure de protection ou, comme le commente Emmanuel Bellanger, « une mise à l’écart, comme précaution afin qu’elle n’agite pas la prison ».
Il faut en effet toute la fermeté et l’abnégation des religieuses de la Congrégation des filles de la Sagesse pour protéger et surveiller ces femmes qui ont perdu tout droit d’être appelées Madame ou Mademoiselle ; mais qui appartiennent à l’espèce humaine déclenchant néanmoins « dégoût et sourde pitié », comme l’avouera Camille Gramaccini, directeur de la maison centrale de Clermont pendant 8 ans.
Trois bâtiments, un préau et fermant le tout le donjon, telle une falaise grise de 29 mètres en à-pic au-dessus du préau.
La femme condamnée n’est plus qu’un numéro ; elle est vêtue d’une robe grise, porte sur la tête ainsi que sur les épaules un fichu à carreaux blancs et bleus. Son matricule cousu sur un carré de toile est bien visible sur sa manche droite. À ses pieds, des sabots qui résonnent, scandant ses infamies passées.
Converser leur est interdit, sauf en cas des nécessités quotidiennes.
Ce silence exigé, ce mutisme censé interdire tout rapprochement immoral, est détourné, et devient vrombissement, paroles s’échappant de lèvres quasiment closes ; s’échangent ainsi les nouvelles du dehors, entendues des contremaîtresses ou lues sur un morceau de journal servant d’emballage, se poursuivant dans les ateliers. Là, dans le vacarme assourdissant des machines, les prisonnières les plus vives, coupent et cousent des corsets. Les plus vieilles, les plus maladroites sont affectées à la confection de cartonnages.
Travailler leur rapporte quelques sous dont une partie, dit le pécule, leur permet d’améliorer leur quotidien alimentaire, mais aussi sert à l’achat de rubans de couleur vive pour se sentir exister pour soi-même ou dans le regard des autres, faire entrer un peu du dehors et un pied de nez au sinistre donjon.
Oh ! Il y aurait bien encore à relater sur le bagne de Clermont, sur ces femmes devenues pauvres créatures, pour certaines en quête de pardon ; ce travail a été fait sans concession dans Au Bagne de Clermont, livre témoignage qui a contribué à la rédaction de cet article et a été une source d’inspiration pour mon roman Enfin l’Aube viendra (Éditions Gaelis).
En 1908, le Donjon accueillera, une école de préservation, un centre pénitentiaire pour mineurs.
Sources documentaires :
Au Bagne des femmes de Paul de Semant et de Camille Gramaccini (huit ans, directeur de la Maison centrale de Clermont) Éditions Flammarion, 1907
Louise Michel, la Vierge rouge par Irma Boyer 1927 Gallica
Histoire du Dimanche — France 3 Hauts de France Oise, article du 15-11-2020 par Justine Saint-Sevin, citations d’Emmanuel Bellanger, membre de la société archéologique et historique de Clermont et directeur général des services de la mairie.
Site : Criminocorpus (Histoire de la justice des crimes et des peines) et le blog Culture et Justice de Philippe Poisson.
En savoir plus sur Enfin l’Aube viendra
Retrouvez Irène Chauvy et d’autres articles sur son site.
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