Christian Séguret
Christian Séguret est musicien et auteur. Musicien parce que c’est la passion et le moteur de son existence. Journaliste musical, il l’est devenu par curiosité, presque par nécessité. S’il a toujours joué de la musique, et toujours écrit sur le domaine, c’est parce qu’il a très vite eu le sentiment que la plupart des auteurs s’exprimant sur la question, souvent brillants prosateurs, étaient parfois un peu ignorants du sujet. Les journalistes littéraires sont eux-mêmes romanciers, les journalistes médicaux ont le plus souvent leur diplôme de docteur en médecine. Il lui paraissait absurde que les personnes traitant de son sujet de prédilection fussent incapables, dans la très grande majorité des cas, de produire une note – à l’exception notable de l’immense Francis Marmande, dont Christian se délectait des chroniques dans le Monde. Il mena ainsi de front deux carrières, chacune nourrissant l’autre, au propre comme au figuré, et qui lui ont permis, crayon ou médiator en main, de tracer sa route en musique depuis plus de quarante ans…
Christian suivait un parcours universitaire laborieux lorsqu’il décida, à l’âge de 20 ans, de se consacrer exclusivement à la musique. Il s’y employa dès lors avec passion et méthode, et ne changea plus d’orientation durant les quatre décennies qui allaient suivre. Il avait fait tôt l’expérience du chant choral, puis de la guitare classique, lorsque des albums désormais collectors rapportés par son père des USA jalonnèrent son parcours… Du jazz, du blues, des spirituals, du folk, et surtout un album EP orange, avec une pochette qui semblerait aujourd’hui délicieusement rétro : Jimmy Bryant Speedy West. Two Guitars Country Style. Une Telecaster, une lap steel, deux musiciens californiens charismatiques, et un virus définitif qui s’instilla sans crier gare.
Nous étions au milieu des années soixante, Christian ignorait superbement les yéyés, les Monkees, les Shadows, et même les Beatles, se plongeant plutôt avec délices dans le folk naissant, le blues, le bluegrass, le rock qui sentait la sueur et il découvrit avec appétit les pépites de cette décade prodigieuse et festive : Dylan, Seeger, Creedence, Sam Cooke, Bill Monroe, les Dillards, Johnny Cash, et mille autres artistes dont il guettait désespérément les sorties. Il écoutait, copiait, se plantait, retentait, en cette époque pionnière et expérimentale où les guitares étaient injouables, les professeurs inexistants, les méthodes introuvables. L’aiguille du Teppaz creusait les sillons martyrisés des albums chèrement acquis à vitesse très réduite pour disséquer les plans des héros du jour : Bryant et Monroe, bien sûr, mais aussi Earl Scruggs, Doc Watson, Clarence White, des dizaines d’autres…
Le métier rentrait, les groupes se succédaient. Bien des instruments s’ajoutaient à la panoplie du musicien, toujours en quête de nouveaux territoires : guitare électrique et acoustique, dobro, mandoline, banjo, violon… Bref, les éléments se mettaient en place. En 1976, tout se précipita. Christian, cornaqué par un promoteur passionné de bluegrass, Denis Phan, publiait une première méthode consacrée à la mandoline bluegrass qui trouva un écho intéressé chez Chappell, l’éditeur musical majeur à l’époque. Dans la foulée, Phan proposa à Christian d’officier à la contrebasse dans le groupe de tournée de deux musiciens du sud des États-Unis, Mike Lilly et Wendy Miller, figures du groupe de Larry Sparks.
La basse, c’était peut-être le seul instrument bluegrass que Christian ne maîtrisait pas encore, mais il en fallait plus pour l’arrêter et après quelques nuits à faire saigner ses doigts sur les albums des deux musiciens, il se présenta à l’audition plein d’espoir et fut engagé sur-le-champ. L’université fut vite oubliée et le départ en tournée avec ces deux figures musicales fut vécu comme une bouffée d’air frais et un grand moment de liberté.
Quelques dizaines de concerts plus tard, Christian se retrouvait en studio pour enregistrer son premier album pour le label Cézame : Old Fashioned Love, avec comme invités Mike Lilly et Wendy Miller, bien sûr, mais également un banjoïste américain qui traînait souvent ses guêtres sur le vieux continent : Bill Keith. Peu de temps après, Christian embarquait pour les USA aux côtés de Mike et Wendy ; il atterrit à Cincinnati dans l’Ohio et, lors de ce premier périple, découvrit le Kentucky, le Tennessee, le Texas, le Mississippi. Il rencontra un musicien à la générosité peu commune, Vernon McIntyre, qui avait son propre groupe de bluegrass à Cincinnati et qui voulut l’embaucher à ses côtés et le convaincre de s’installer là-bas. Mais Christian pressentait que les événements sympathiques allaient se précipiter en France, et il prit l’avion du retour vers Paris avec, dans ses bagages, sa première mandoline Gibson, offerte par McIntyre.
Keith était déjà une véritable légende aux USA. Émule d’Earl Scruggs, il avait mis au point dans les années soixante un style de banjo qui s’éloignait des rolls de base établis par le père du banjo bluegrass. Keith avait développé une méthode de jeu faisant la part belle aux cordes à vide qui permettait de développer de longs traits chromatiques et d’approcher les mélodies alambiquées des fiddle tunes sans l’approximation tolérée jusque-là. Son jeu, baptisé melodic style, allait faire fureur et serait approprié par tous les apprentis musiciens de l’époque. Keith fut embauché par Bill Monroe, le père du bluegrass, au milieu des années soixante, et les quelques mois qu’il passa avec cette figure musicale permirent de faire connaître cette approche révolutionnaire. Par la suite, il avait souvent tourné avec son collègue chanteur Jim Rooney, participé a des expériences mémorables comme Muleskinner aux côtés de Clarence White (des Byrds) et de Peter Rowan, et venait souvent se ressourcer dans notre pays qu’il appréciait énormément et dont il maîtrisait la langue à la perfection.
Lors de ces tournées, Keith était souvent accompagné à la mandoline par Pierre Bensusan, qui avait alors 17 ans et venait de sortir son premier album. Pierre développait alors son jeu de guitare qui le fit connaître à la planète entière par la suite, et souhaitait tourner sous son nom. Bill, qui avait enregistré des plages de banjo mémorables sur le premier album de Christian, fit alors appel à lui pour occuper le pupitre de mandoline dans son orchestre. Nous étions en 1977, et Christian vécut alors, au fil des nombreuses tournées qu’il put faire avec le célèbre musicien, une forme d’apprentissage musical accéléré.
Avec Bill, Christian visita du pays : la Suisse, l’Allemagne, l’Italie, la Belgique, la Hollande, l’Autriche, les USA, où ils se produisirent dans les États du Nord, que Christian découvrit à l’occasion. Trois ou quatre tournées s’enchaînèrent jusqu’en 1983, avec des formations évoluant, au sein desquelles Christian découvrit des musiciens d’exception : les violonistes Kenny Kosek ou Larry Campbell, les chanteurs Jim Collier et Jim Rooney, les bassistes Patrick Chioca puis Lionel Wendling. Un album fut enregistré pour le label Hexagone : Bill Keith & Jim Collier, auquel participa également le grand contrebassiste Henri Texier et sur lequel furent gravés pour la première fois certains des grands classiques de Bill dont son désormais célèbre « Beating Aroung the Bush ».
Le mot dut se passer auprès des artistes américains qui s’empressèrent de solliciter les services de Christian, mais également de certains de ses collègues comme Lionel Wendling ou celui qui allait devenir son partenaire musical principal, Olivier Andrès, pour les soutenir lors de tournées européennes. Ce fut d’abord Tony Trischka qui, dès 1977, vint jouer sur le vieux continent avec Kenny Kosek et Danny Weiss, pour plusieurs tournées successives, puis Peter Rowan, alumni des groupes de Monroe, de Seatrain ou de Muleskinner, qui s’assura à son tour les services de ces jeunes Français pour des tournées intenses et pleines d’enseignements qui permettaient à Christian de se produire dans les plus grands festivals européens.
Mais ces tournées incessantes, si elles étaient riches en expériences, étaient souvent très mal rétribuées. Les transports, les charges, les billets d’avion transatlantiques grevaient sérieusement des budgets non extensibles, et Christian commençait à envisager le « métier » d’un autre œil, et rêvait parfois d’un emploi plus rémunérateur. Il répondit à l’appel de son collègue Lionel Wendling, parti s’installer aux États-Unis pour parfaire ses connaissances de la pedal steel guitare, et entreprit avec lui de monter un groupe de musiciens français pour tourner sur les circuits des festivals de bluegrass américains. Le groupe fut opportunément baptisé Transatlantic Bluegrass et, à l’été 1980, partit pour une série de tournées qui les mèneraient aux quatre coins des États-Unis, leur permettant de vivre un chapelet d’aventures inoubliables, et d’ouvrir pour les plus grands artistes américains comme les Osborne Brothers ou Bill Monroe, aux côtés duquel ils apparurent dans un documentaire de la chaîne PBS.
C’est en rentrant d’une de ces tournées, tandis que son groupe se produisait dans une petite salle de la banlieue ouest, que Christian eut la surprise, lors de la balance, de voir apparaître Hugues Aufray. Le chanteur s’approcha de lui, lui tendit la main en se présentant, à l’américaine. Dès le lendemain Christian était dans la superbe maison de l’artiste à Marnes-la-Coquette, échangeant des notes, des histoires et des chansons. Il fut engagé sur le champ, et, quarante ans plus tard, reste un des piliers de sa formation. Christian avait enfin trouvé le gig qui lui apporterait à la fois des satisfactions musicales et une rétribution à la hauteur de la réputation de l’artiste, qui lui permettait engin d’envisager l’avenir avec sérénité.
Au fil des décennies, il allait enregistrer une douzaine d’albums avec le chanteur, tourner aux quatre coins de la planète : République tchèque, Roumanie, Algérie, Maroc, Québec, Espagne, Suisse, Belgique. Les pays se succédaient, les rencontres musicales se multipliaient au sein de la formation : Jean-Pierre Sabar, Slim Batteux, Slim Pezin, George Augier de Moussac, Eddy Effira, René Lebahr, Eric Wilms, Max Pol Delvaux, et bien d’autres musiciens de talent qui allient marquer son parcours et avec certains desquels il allait nouer des amitiés durables.
Ce nouveau rôle bien en vue permit à Christian de faire connaître le large éventail d’instruments qu’il pratiquait avec Aufray : guitare, dobro, banjo, violon, mandoline… Le téléphone commença à sonner pour des séances diverses pour des artistes de genres différents, des musiques de films, de publicités.
En 1994, il réalisa un rêve de longue date en enregistrant un premier album avec un complice passionné comme lui de guitare bluegrass : Thierry Massoubre. Ce premier album, réalisé avec la complicité de François Charle reçut, comme la production Silex de l’année, le Grand Prix du Disque de l’Académie Charles Cros. Christian commença également à cette époque de travailler pour les Jeunesses Musicales de France, organisme pour lequel il allait porter la bonne parole de la musique américaine dans toutes les écoles de France et ce pendant des années, alignant les concerts par centaines et instillant à son tour le virus de la musique américaine auprès de jeunes enfants dans les coins les plus reculés de l’Hexagone.
Il cultiva également sa passion pour l’écriture après une de ces rencontres déterminantes qui décident d’une carrière. Il avait croisé au début des années quatre-vingt Thierry Frébourg, un journaliste travaillant pour le groupe de Daniel Filipacchi, qui avait été chargé par ce dernier de sortir un mensuel entièrement consacré à la guitare. Frébourg s’acquitta de sa tâche avec brio, embauchant quelques plumes qui allaient devenir des références au fil des années : Yves Bigot, Cyril Lefebvre, Arnaud Viviant et bien d’autres. Il réussit à convaincre Christian, qui n’avait jamais songé à cette carrière, de s’essayer au travail de journaliste. Bien lui en prit. Christian participa à l’aventure de Guitare Magazine, puis aux nombreux magazines que Frébourg partit fonder. Il signa des centaines et des centaines d’articles, et plusieurs livres au fil des années, détaillés dans la bibliographie de ce site.
En 1997, Christian, désormais marié et père de deux enfants (il en a trois désormais : Alice, Justin et Luc), eut l’opportunité de partir s’installer aux USA pour enseigner à l’Université du Tennessee sise à Johnson City (East Tennessee State University). Il travailla aux côtés de Jack Tottle qui avait fondé au sein de cet organisme le premier « conservatoire » dédié à la musique country et bluegrass. Christian y débuta en enseignant la guitare et la mandoline et, après plusieurs années, était devenu assistant de Tottle à la tête du programme (et même Directeur intérimaire, lorsque Jack Tottle prit une année sabbatique en 1999).
Il aurait pu terminer sa carrière tranquillement là-bas, puisque ayant obtenu son tenure, il avait un statut équivalent à celui d’un fonctionnaire. L’ambiance universitaire était douce, la vie facile. Un peu trop, peut-être, puisque, cette case étant cochée, et ce rêve américain ayant été vécu, il ne se voyait pas s’encroûter dans un cadre d’arbres centenaires et de pelouses manucurées. Direction la France.
Le retour chez les Gaulois fut un peu rude au départ, le travail ne se bousculant pas. Grâce à son vieil ami Gilbert Rouit, Christian put se faire embaucher chez Disney pour assurer la survie de sa petite famille. Quelques mois plus tard, Aufray passant au Petit Journal à Paris, suggéra à Christian de venir rejoindre sa formation pour cette occasion. L’entente immédiate se fit à nouveau, et Christian ne quitta plus le groupe du chanteur depuis cette date. Un bonheur n’arrivant jamais seul, il fut contacté par Gildas Arzel, qui avait pour projet de monter une formation vocale avec Michael Jones et Eric Benzi, à base de guitares.
Christian et son bagage d’instruments à cordes furent un ajout utile à la formation et le groupe, baptisé El Club, enregistra un seul album à la Crosby Stills and Nash, désormais collector, que s’arrachent les amateurs français du genre. Lorsque le groupe se sépara après une seule et unique tournée, Christian partit rejoindre la formation de Michael Jones, en alternance avec Aufray, et passa plusieurs années aux côtés du Gallois qui reste un de ses bons amis. Quelque temps plus tard, en 2010, il allait co-réaliser un album qui reste un de ses favoris parmi les dizaines qu’il a désormais enregistrés : Greneville de Gildas Arzel, un condensé de musiques américaines, du blues au bluegrass, en passant par le cajun et le boogie rock.
Les années qui suivirent, de 2010 à 2020, furent parmi les plus actives de sa carrière. Christian, en plus de son engagement aux côtés d’Hugues Aufray, tournait avec Michael Jones, mais également avec Murray Head, avec la chanteuse folk Annabel et avec Dick Annegarn.
Il dirigeait les rédactions des magazines Guitar Collector puis Guitare Vintage, enregistrait une méthode de guitare flat-picking pour l’école en ligne iMusic School, et signait une série de méthodes pour les éditions Rébillard : Guitare Country, Guitare Acoustique (avec Thomas Hammje), Méthode de Mandoline, Méthode de Banjo, et travaillait avec son collègue Olivier Andrès à la réalisation des centaines de titres pour les éditions Kosinus, de la musique destinée à l’illustration de films, publicités et émissions télévisés.
En 2008, Christian fut contacté par Sanseverino, qu’il avait connu très jeune et auquel il avait donné des leçons de guitare. Le chanteur lui demanda de participer à l’album Les Faux Talbins, à la mandoline et à la guitare électrique, et il lui fit part de son projet de monter une formation bluegrass autour de son prochain projet d’album. Christian lui présenta alors le banjoïste Jean-Marc Delon, auquel se joignirent Christophe Cravero au violon et Jidé Jouannic à la basse. Le groupe enregistrera deux albums avec le chanteur, une quinzaine de “video gogues” qui font encore le bonheur des youtubeurs et sillonna les routes de France lors de deux tournées mémorables qui se terminèrent en 2017.
Aujourd’hui, Christian travaille encore régulièrement avec Hugues Aufray et se produit pour quelques concerts avec son collègue Thierry Massoubre avec lequel il met la dernière main à un deuxième album. Il travaille également à un projet de formation avec le bassiste Olivier Andrès et le batteur Jérôme Villefranque, Lubbock 55, pratiquant un savant mélange de genres : blues, country, swing et rockabilly. Il se consacre également à l’écriture de livres, et les deux premiers volumes de son Encyclopédie de la Guitare sont ainsi sortis à partir de décembre 2018, le troisième étant prévu pour la rentrée prochaine, ainsi que Guitar Talk, un recueil de textes et d’interviews sur quarante des plus grands guitaristes de la planète qu’il a eu l’occasion de croiser au fil de sa carrière (voir Gaelis Editions).
À l’image de son patron de toujours, Hugues Aufray, qui vient de fêter ses 90 ans par un concert marathon de trois heures à Sorèze et d’enregistrer un nouvel album, Christian ne semble pas près de ralentir le rythme, mais plutôt de jouir des privilèges de l’expérience et de la maturité : fuir le futile et l’inutile, choisir ses projets, et s’y consacrer avec la passion et le temps qu’ils exigent.
Encyclopédie de la Guitare :
Guitar Talk :
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