Les courtisanes où les Aphrodite de la décadence…
par Annabel
Appelées aussi les grandes horizontales ou les demi mondaines, Mata-Hari, la belle Otéro (Caroline Otéro), la Païva, Liane de Pougy, Emilienne d’Alençon, Cora Pearl, Cléo de Mérode, La Castiglione, sont des femmes de la Belle Époque qui ont fait rêver les hommes, arrangé certaines épouses et défrayé la chronique. Elles faisaient tourner la tête des plus tendres mais aussi des plus revêches et parfois la faisaient tomber. Devenues un phénomène social réprouvé par la morale mais accepté par tous, elles sévissaient avec légèreté et effronterie dans le milieu des bourgeois et aristocrates. Tant et si bien que Zola a écrit Nana (Hortense Schneider), que le Petit Journal relatait régulièrement leurs frasques et que les admirateurs illustres ou inconnus se pressaient devant les portes de leurs loges. Edouard VII fut l’un des plus envoûté et se plongea régulièrement dans des baignoires de champagne en leur compagnie. Il s’asseyait sur son fauteuil des voluptés spécialement construit pour lui et s’abandonnait à ses courtisanes préférées du Chabanais. Il n’y avait pas un homme fortuné qui ne se promenait avec, à son bras, une demi-mondaine. Car s’il pouvait se payer une cocotte, il pouvait se payer bien plus ! Guerlain les parfumait de parfums multifloraux (les unifloraux étant réservés aux femmes vertueuses), Reutlinger les photographiait et elles s’habillaient chez les grands couturiers en mettant Paris à la mode.
Bien plus propres en réalité que les autres femmes, elles se lavaient régulièrement et vouaient à leur physique le culte que l’on apporte à son gagne-pain surtout si ce dernier est rentable. Guerrières amazones aux yeux d’anges et parfois impitoyables elles se battaient entre elles pour garder leur place, se jalousaient sans se cacher et se faisaient des scènes en public pour gagner la première page du Petit Journal. Grandes amatrices d’art, les salons de leurs hôtels particuliers outrageusement riches attiraient les écrivains, les peintres, les philosophes et les musiciens et ont vu naître bien des chefs-d’œuvre. Belles et parfois exotiques, elles dansaient et utilisaient leurs formes généreuses qu’elles couvraient de perles et d’or pour apparaître sur scène avec la splendeur d’une divinité, la richesse d’une reine et parfois le talent d’un poisson rouge. Mais pour celles dont les capacités artistiques ne se cantonnaient pas à l’espace restreint du rectangle d’un lit, c’était la scène et la gloire qui les exaltaient. Elles aimaient être aimées, vendaient leurs charmes pour un compliment évidemment agrémenté d’une belle somme dont elle avait elles-mêmes fixé le montant et n’accordaient leurs faveurs qu’à celui qu’elles avaient choisi.
Elles recevaient de leurs admirateurs un bouquet et quelques diamants qu’elles portaient chez Maxim’s le soir de leur premier rendez-vous et dont elle vérifiaient l’authenticité en rayant le miroir derrière elle. Et si elles acceptaient d’être courtisées ce n’était que sous la promesse qu’il y en aurait d’autres. Les têtes européennes couronnées, parfois encore blondes, venaient par tradition se divertir à Paris et sous les jupons de ces femmes extravagantes et témoins silencieux de négociations en tout genre. Les rois et les princes, les ambassadeurs et les ministres faisaient une « visite au Président du Sénat » en se laissant mener et abuser en souriant, pour peu que l’un d’entre eux puissent passer une demi-heure dans leur chambre.
Et l’intelligence de certaines consistait à les faire entrer, payer et ne jamais dévoiler plus que ce qu’il ne fallait, ne se couchant sous l’homme qu’en cas d’extrême limite de sa patience. Leur goût de la liberté et du luxe faisaient d’elles des prostituées sans que jamais personne ne prononce ce mots, excepté dans le salon des épouses chastes qui malgré tout, s’accommodaient facilement des services que leur rendaient les courtisanes en éteignant les fougues sexuelles de leurs maris indésirables. Et tout cela ne dura qu’un temps, nos belles et grandes horizontales vieillissantes s’éteignirent après la Grande Guerre sans comprendre vraiment ce qu’il leur arrivait. Le temps n’était plus à la joie, les poches des bourgeois étaient vides et la mentalité des gens raccourcie. Nombre d’entre elles finirent avalées par la drogue et la solitude (Emilienne d’Alençon), certaines firent de la neurasthénie et devinrent obsédées par leur image vieillissante (La Castiglione) d’autre furent accusées de trahison (Mata-Hari), certaines s’établirent et devinrent plus chastes (Liane de Pougy) et écrivirent leurs mémoires pendant que les dernières dépensaient toute leur fortune, telle la Belle Otero, qui se ruina dans une salle de Casino à Monaco avant de finir oubliée, assise sur le bidet d’un appartement délabré.
À retrouver dans Les Cocottes, tome 2 des Enquêtes de Simon.
Un peu de lecture sur les demi-mondaines :
Alexandre Dumas fils : Le Demi-Monde, La Dame aux camélias.
Émile Zola : Nana
Honoré de Balzac : Les Illusions perdues
Colette : Gigi
Roy Lewis : M. Gladstone et la demi-mondaine
Guy de Maupassant : Bel-Ami et La Maison Tellier
Paul-Jean Toulet : Mon Amie Nane
Joanna Richardson : Le Demi-Monde au XIXe siècle
Paulo Coelho : L’espionne
Le site des Enquêtes de Simon
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